Micro-

frictions

de Gustave Akakpo │ mise en scène Audrey Bertrand

Micro-frictions est une pièce qui ne présente pas un schéma classique, il n’y a pas de personnages, pas d’ordre particulier à respecter dans la suite des scènes, si ce n’est celui qu’on veut bien lui donner. Ici il n’y a pas une histoire à raconter, mais une multitude d’histoires, et sans inventer, sans tricher, Micro-Frictions c’est notre histoire à tous. À la base de Micro-Frictions il y a la société, notre société, l’envie de vivre ensemble, de tenter de vivre ensemble. Il y a toutes ces minuscules frictions que l’on ressent au quotidien, celles qui nous permettent d’avancer et celles qui nous heurtent. Il y a tous ces instants de joie, de tristesse, de colère, de calme, d’attente… et cette solitude évidente à chaque moment de la vie.

Avec un humour grinçant, l’auteur nous parle de cette société actuelle, qui reste emplie de paradoxes. On y parle de l’individuel dans le collectif, de nos envies, de nos peurs, nos violences. Bref, on s’y reconnaît. Ce texte a su me toucher, me faire réfléchir et sourire. C’est cette vie que je veux aujourd’hui amener au plateau, ces questions que l’on se pose tous, difficiles à admettre, à verbaliser, bien qu’omniprésentes dans nos têtes.

Mais comment pouvons-nous percevoir ce monde ? Et comment représenter cette société, en perpétuel mouvement ?

Les interrogations ne sont pas les mêmes selon nos appartenances socio-culturelles bien sûr, mais la recherche du bonheur est partout, chez tout le monde. Que veut dire être heureux ? Comment être heureux ? Comment prendre notre vie en main ? Quand j’écris « notre vie », je ne parle pas forcément de vie individuelle mais de vie collective en prenant conscience du poids de nos actes sur les autres. À la vue du contexte socio-politique actuel, je crois que c’est une nécessité de se poser ces questions ensemble, je crois même que c’est une urgence de mettre notre société en travaux et de réapprendre à vivre ensemble, ou en tout cas de vouloir essayer. Micro-Frictions représente ces frontières, ces barrières à casser. On y parle souvent de travaux, mais de quels travaux parlons-nous ? Que cherchons-nous à détruire ? Que cherchons-nous à reconstruire ?

« Après les travaux de rénovation ce sera le meilleur des mondes, tout sera possible. »

Il s’agit, comme le texte nous invite à le faire, de symboliser ces frontières pour mieux les déconstruire, les mettre en chantier perpétuels, instiller de l’éphémère dans l’immuable. Je veux pour cela un dispositif scénique fait de plateaux inclinés qui s’opposeront au plat de la scène. Ces pentes se déplaceront, pourront se rejoindre pour former un grand plateau. Descendre, monter, tenter de monter puis redescendre, ne pas réussir à redescendre, ou alors rester en bas, toujours. Tel l’enchaînement d’obstacles, les collines à gravir que sont la vie.

Au-delà de ces pentes, je veux également travailler sur l’idée du chantier, la saleté, le bordel, le chaos, une sorte de chaos organisé qu’on tente de maîtriser. Utiliser des matériaux volatiles, qui peuvent être beaux, qui peuvent être sales, qui marquent vite, et qui disparaissent vite. Je veux représenter au sol, en l’air, ce qui nous tombe dessus chaque jour, tantôt poussière de travaux tantôt poussière magique d’un génie qui veille sur nous.

« Vous êtes qui vous ?
‐ Le génie de la lampe.
‐ Quelle lampe ?
‐ Celle qu’on frotteeee, etc. Je ne vais pas vous la refaire, tout le monde connaît l’histoire.
‐ Mais, je n’ai rien frotté. Comment êtes‐vous entré ? Cet immeuble est une vraie passoire ; vivement la fin des travaux. »

Au sol, justement, une quantité innombrable de mégaphones, posés sur tout l’espace scénique. Notre société, qu’il s’agit de représenter, se veut un espace de revendications, où nos plaintes constantes restent latentes, où nous nous plaisons à dire que nous ne sommes pas d’accord, mais il est bien plus difficile de sortir de notre zone de confort. Je vois là un paradoxe qui me fascine, une société capitaliste de consommation à outrance qui ne sait jamais si elle se plaît ou non dans ce mode de vie. Le mégaphone, ainsi, reste un objet qui a un sens fort, il porte un message que chacun peut entendre, adressé à l’autre, aux autres pour qu’un maximum de personnes entende. Il représente bien souvent la colère, l’envie de dire, de se faire entendre de l’autre. Il symbolise également cette notion de collectif qui me tient à cœur.

Je voudrais également mettre en relief ce paradoxe criant qu’est l’Homme, dans ses moments d’amour profond, de tristesse, de joie, de folie et de haine. Il peut passer d’un état à un autre rapidement, il peut être heureux et profondément triste le lendemain. Le rap de Gaël Faye représente à mon sens, toute cette humanité et prendra une place particulière dans ces Micro Frictions, à l’image du texte où les scènes se suivent sans se ressembler, où l’on quitte des situations pour en suivre d’autres, pour ensuite y revenir ou non. Ce rap permettra d’appuyer également la réflexion que je souhaite amener autour du rythme. Une musique entraînante, qui se coupe de manière brutale pour laisser place au vide, au silence puis au texte. On essaie de cohabiter, de se comprendre, de vivre ensemble chacun dans notre rythme, chacun dans notre style. Je veux que les scènes dynamiques, coup de poing, puissent laisser place en quelques secondes à des scènes beaucoup plus calmes, intimistes, quotidiennes.

Très inspirée par les performances de Bill Viola, je souhaite questionner notre rapport à l’image, à l’écran sur un plateau de théâtre. Par le biais, de plusieurs télés, objet que je trouve très significatif dans notre rapport au monde, nous montrerons des gros plans des visages des comédiens recevant plusieurs substances différentes, aliments et matériaux de chantier qui leurs tombent dessus. Ces substances viendront toujours du haut, cela représente encore une fois ce qui nous tombe sur la tête et la façon dont nous le recevons. Je souhaite que la vidéo amène elle aussi, son propre rythme, un ralenti constant et une image omniprésente.

Ce qui m’intéresse ici c’est ce que provoquent chez le spectateur ces cassures, ces ruptures constantes de rythme. Encore une fois, cette rupture, ce paradoxe, ce rythme différent selon les instants, correspondent à ma vision de la société d’aujourd’hui, celle qui n’a pas encore trouvé son rythme ?

Audrey Bertrand

L’histoire

Micro-Frictions est une série de textes, de scènes évoquant de façon plus ou moins réaliste des malaises d’individus face à leur situation sociétale.

C’est l’histoire d’une mère dont le corps finit par avaler ses enfants, d’une femme qui s’est oubliée, d’un père qui prend enfin la parole, de voisins qui se supportent. C’est le récit d’un enfant qui n’a pas demandé à naître, d’une femme qui croule sous les factures, d’un couple qui ne peut plus vivre dans les travaux, de jeunes qui rêvent d’une nuit qui ne tomberait plus.

L’auteur

Né en 1974 au Togo, Gustave Akakpo est écrivain, comédien, conteur, illustrateur, plasticien. Il est membre des collectifs Escale d’écritures, À mots découverts, Écrivains Associés de Théâtre, et artiste associé au Tarmac - La scène internationale francophone. Il a reçu de nombreux prix, dont le prix junior Plumes togolaises, le prix SACD de la Dramaturgie Francophone, le prix d’écriture théâtrale de Guérande, le prix Sorcières et deux fois le prix du festival Primeur, en 2008 pour Habbat Alep et en 2011 pour À petites pierres.

Ses textes ont été mis en scène par, entre-autres, Banissa Méwé, François Rancillac, Jean-Claude Berutti, Fargass Assandé, Luis Marquez, Anne-Sylvie Meyza, Balazs Gera, Thomas Matalou, Lukas Hemleb, Israël Tshipamba, Philippe Delaigue, Cédric Brossard, Matthieu Roy… et mis en espace/lecture par Olivier Py, Pierre Richard, Pierre Barrat, Caterina Gozzi, Marie-Pierre Bésanger, Geoffrey Gaquère… Ils sont traduits dans plus de cinq langues et publiés aux éditions Lansman et Actes-Sud papiers.

Générique

Mise en scène Audrey Bertrand

Scénographie Marinette Buchy

Création vidéo Maxime CaperanEva Sehet

Création sonore Felix de MontetyFlorent Collignon

Avec Robin BetchenSylvain LabléeAnne Le GuernecMarine MaluendaNoé Pflieger

Photos Alexandre Chanudaud