Au pays

des Hypers

de Gilles Ostrowsky, d’après Florence Aubenas │ mise en scène Audrey Bertrand

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Comment, en tant qu’artiste, saisit-on le réel pour ensuite le rendre fiction ?
« C’est le réel que je n’étais plus capable de saisir », écrit Florence Aubenas.

Notre collectif s’attache depuis sa naissance à créer des histoires, des fictions à partir du réel. Nos créations s’envisagent bien souvent autour d’un travail de territoire, d’un travail anthropologique. Depuis plusieurs années, notre réflexion se base sur « les non-lieux », terme définit par Marc Augé. Ils se définissent comme un espace interchangeable, où l’être humain reste anonyme. Il s’agit par exemple d’un tramway, d’une gare, des grandes chaînes hôtelières, des supermarchés, des aires d’autoroute, mais aussi des camps de réfugiés. Augé dit que « L’homme ne vit pas et ne s’approprie pas ces espaces, avec lesquels il a plutôt une relation de consommation ».

Nous concernant, il nous apparaissent comme un terreau fertile à l’observation de nos semblables, matières à discussion, prétextes à création. Les non-lieux posent des questions sociales et sociétales constitutives, qui interrogent nos habitudes, nos ambivalences, et restent profondément politiques. C’est justement à partir de nos ateliers, de nos interventions et de nos rencontres que nous pensons nos spectacles, dans le but de toujours remettre en question nos propres convictions.

Le travail de Florence Aubenas a toujours été une source d’inspiration puissante pour notre collectif. Celle qui considère son métier de journaliste comme « donner de soi-même aux autres » embrasse notre volonté artistique de scruter l’Autre et en faire spectacle. Notre volonté est de se mettre au service du réel, au service du quotidien, pour le transfigurer.

Avec La Mer de Poséidon en caddie, nous avons voulu nous fondre dans ces lieux les plus simples de la vie quotidienne, où se concentrent les ambivalences, les contradictions et les sociabilités françaises les plus ordinaires : les hypermarchés. En 2019, Florence Aubenas a tenu une chronique dans le journal Le Monde, intitulée Au Pays des Hypers, qui fut précurseuse de ce qui survint en 2020 : des confinements, des lieux classés comme essentiels, où se réinventait une sociabilité entre les rayons. La pertinence et la vérité de cette chronique nous ont poussé à en créer un spectacle à part entière.

Dans cet Hyper U de Mende sillonné par la journaliste, on y trouve une certaine représentation de la France. Elle nous invite à rencontrer une multitude de personnages, du directeur, aux producteurs, fournisseurs, employés, clients ; souvent les paroles des oubliés, de ceux qui se battent au quotidien pour s’en sortir, au cœur d’un système politico-financier qui leur semble toujours trop complexe.

Notre spectacle s’attache à rester fidèle à ces portraits et à ces situations. Les chroniques de Florence Aubenas nous racontent des histoires, nous posent un cadre. Certaines scènes possèdent déjà une théâtralité évidente, comme celle des entretiens d’embauches. D’autres existent sans nécessité de parole.

Comme dans les hypermarchés, la musique et le son rythment le spectacle. Certains tableaux en musique et sans parole sont nécessaires pour traduire ce que notre corps raconte, mais aussi pour laisser aux spectateurs le temps de la réflexion, le temps d’une respiration essentielle.

Nous imaginons ce spectacle comme une agora antique, pour l’assemblée, la discussion, il représente le prémisse d’un débat et pourrait donc se jouer sur la place publique pour le plus grand nombre. Pour cela, le décor doit être léger, quelques accessoires suffiront car l’équipe doit être libre et mobile. Il sera sans doute entrecoupé d’un débat avec le public afin de repenser le rapport scène-salle.

Dans la continuité de notre processus de création, nous aimerions faire participer certains élèves, qu’ils restituent une scène, une phrase, un mouvement, travaillé préalablement en atelier. Il s’agit ici de travailler sur le sentiment d’identification, de les faire entrer immédiatement dans le processus de création.

Audrey Bertrand et Noé Pflieger

Pourquoi l'hyper ?

« Parce que c’est un endroit qui m’a toujours fasciné à vrai dire, c’est l’endroit où l’on voit absolument tout le monde, le lieu de brassage en France, qui est pour moi incontournable, tout le monde va dans un hypermarché. C’est un lieu très important. D’autant plus important qu’on sait tous en poussant notre caddie, que c’est un endroit où les gens sont mal payés, où ils ont des horaires pas possibles, en tout cas un certain nombre d’entre eux, où on va se faire avoir par les promotions. Donc on se sent déjà pas pigeon mais un petit peu, donc on est à la fois victime et à la fois coupable d’y aller et je trouve que cette ambivalence représente un petit peu notre époque, c’est-à-dire qu’on se dit il faudrait pas y aller et à la fois on y va parce que c’est moins cher parce que c’est l’endroit où il y a tout le monde et parce que, pour certains c’est vraiment le lieu où on sort parfois la seule fois de la journée, et où on parle à quelqu’un donc c’est aussi un combat contre la solitude, l’hypermarché, donc c’est toutes ces choses très contradictoires qui se mélangent dans cette endroit et c’est pour ça que m’a plu. »

Florence Aubenas sur France Inter - Emission TOTEMIC
Entretien du 17 février 2023

Les auteurs

Gilles Ostrowsky est co-fondateur avec Sophie Cusset et Jean-Matthieu Fourt de la compagnie Octavio. Leur forte complicité artistique les amène à créer un univers singulier, à écrire et mettre en scène de nombreux spectacles : Le retable, le Christ et le clown ; Men at work en collaboration avec Eugène Durif ; Hop là ! Fascinus ! ; Marilyn était chauve ; Bang Bang ; Un miracle ordinaire, m.e.s Sophie Cusset ; Héroïnes ; Les caissières sont moches...

Florence Aubenas, née le 6 février 1961 à Ixelles (région bruxelloise, Belgique), est une journaliste et écrivaine française. Elle effectue la plus grande partie de sa carrière au sein du quotidien Libération comme grand reporter, jusqu’à son départ en 2006 pour l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur puis Le Monde à partir de 2012. En 2005, à l’occasion d’un reportage en Irak, elle est retenue en otage pendant cinq mois.

Générique

Auteurs Gilles OstrowskyFlorence Aubenas

Mise en scène Audrey Bertrand

Scénographie et accessoires Alix Mercier

Son et musique Antoine Quintard

Collaboration artistique Anthony Lozano

Avec Audrey BertrandSophie CussetNoé Pflieger